Quelques battements d'ailes

Quelques battements d’ailes

Le jour est naissant. A travers des lambeaux de nuit, des rubans de brume et des timides chants. Le Temps est hésitant, presque à l’arrêt. Soudain dans un murmure il demande au Vent de lui prêter ses ailes. J’en ai besoin, juste pour quelques instants, lui dit-il. Je te les rendrai. C’est promis. Le Vent, conciliant, lui prête alors ses ailes. Le Temps, ravi s’en revêt. Le Vent, lui, est tombé. Réfugié dans son nid, le Silence, il s’endort. En rêvant. Rêvant à d’autres jeux, caressant les cimes, courbant les épis, les branches pleines de fruit, les bateaux qui fuient vers la courbure de l’horizon. Ses colères étant incontrôlables, il les oublie, préférant jouer avec les cerfs-volants qui font rêver les enfants et même les grands. La Vie n’a pas de prix car Elle est la seule valeur de l’Infini. Sans concurrent. La Vie n’a pas de prix quand il s’agit de la combler de joies, de rires, et d’aimer. Jusqu’au-delà du Temps. Au-delà du Vent. Là où les firmaments se connaissent et se respectent, échangent et partagent, à chaque instant. Le Temps, arborant les ailes du Vent, se met à les battre doucement, puis de plus en plus fort. Le voilà au-dessus du jour naissant et en quelques coups d’ailes, il est au crépuscule, déjà. Il regarde en bas, et voit, horrifié, des gens allongés, tordus, baignant dans le sang. Quelques coups d’ailes et le voilà assistant à un rassemblement où la foule, muette, écoute le discours tonitruant d’un homme de pouvoir, d’un dominant. Le résultat de la harangue folle lui apparaît un peu plus loin, à quelques battements d’ailes : des cadavres, dans les villes, dans les champs. Des corps sans vie d’hommes, de femmes et d’enfants. Quelques coups d’ailes encore et le voilà devant un monument aux morts au pied duquel des messieurs importants, la mine grave, déposent une gerbe de fleurs. Ils s’imaginent participer à un couronnement mais ils n’ont dans les mains qu’un cœur calciné, une affreuse méprise, un énième chapitre d’une Histoire de sang. Le Temps alors se met à pleurer. Il pleut. Fort. Les assistants des hommes puissants leur ouvrent un parapluie. On se précipite pour se mettre à l’abri. Dans les grosses voitures noires, les limousines et les mairies où les attendent un cocktail, un petit verre de blanc. Le Temps revient sur ses pas. Il revient vers le jour naissant. Il regrette amèrement cette malheureuse initiative d’avoir voulu voir un peu plus loin, loin devant. Il enlève les ailes du Vent et l’appelle. Celui-ci, dans un demi-sommeil, a entendu. Il se lève. Va caresser le Temps, pour le consoler. Pour réveiller la Nature, l’aube et ses pastels d’or, d’orange et de bleu chatoyant.  Tu n’as fait que continuer le chemin pris par l’humanité dit-il au Temps. Et des chemins, crois-moi, il y en a tout autant que d’étoiles dans les constellations. Alors ne t’en fais pas. Je sais les hommes être capables du pire mais du meilleur également. Va à ton rythme, mon ami le Temps. Ne compte pas les jours comme on déroule un ruban. Je sais la magnificence de l’homme l’attendre au tournant.  La nouvelle Aube. Le Temps, rassuré, s’éclaire. Les premiers rayons du soleil sèchent les ailes du papillon, immobile sur la fleur, tous deux vêtus de rosée. La brume s’en va, lentement, traversant les prés, les bosquets, ajoutant une aura de beauté en recouvrant le chevreuil. Le héron, immobile au bord de l’étang, guette son premier repas du jour. Du jour naissant.

Michel Labeaume

7/11/23

Date de dernière mise à jour : 08/11/2023

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