Aux petites gens

Aux petites gens

La soupe sera délicieuse, simple et nourrissante. Lorsque le corps est bien nourri, c’est l’âme qu’il rassure. Dehors, le ciel est un long drap gris et le froid de ce début d’hiver donne un peu de mélancolie aux jours monotones. D’autant que l’actualité reste depuis quelque temps cet immense bourbier dans lequel pataugent les pauvres aussi bien que les grands. Les petites gens haussent les épaules et vont aux champs, à l’usine, faire le ménage dans les bureaux, balayer la rue au petit matin en pensant au chagrin des siens restés au pays. A L’EHPAD pour laver, torcher, en faisant attention aux sourires de tendresse, aux petits mots doux offerts en catimini, en vitesse, le temps de ces mouroirs n’étant qu’un gros tiroir-caisse. Toutefois, les aides à domicile ont ces petits bonheurs faciles quand ils sont attendus avec impatience par ces vieux couples qui ferment leurs volets trop tôt comme s’ils avaient un peu peur du crépuscule. C’est idiot. Ils sont si beaux, ces vieilles et ces vieux, le visage comme une pomme oubliée, les rides étant ces sillons de vie dans lesquels ils ont tant semé, tant aimé. Quand l’un des deux me sourit, je reçois en pleine figure une embellie. Alors que dire quand elle et lui se sourient ? Seul le silence est capable de leur dire merci. Oh petites gens ! Les grands de ce Monde se sont égarés dans l’immonde, la fourberie, les bourrages de crânes et la violence de leurs propos est signée dans les décombres par ces cadavres en nombre qui putréfient la puissance imbécile des empires. Ne les écoutez plus, petites gens ! Ne les écoutez plus. Trop de mots, de maux. Continuez à vous vêtir aux aurores d’humilité. C’est un habit d’or quand elle dissimule ce trésor qu’est votre cœur ouvert à l’ampleur de la contemplation plutôt qu’à l’ardeur pour l’accumulation. Petites gens, vous passez l’existence avec légèreté et c’est cela votre audace, de traverser l’orage en n’ayant cure de la pluie glacée, des trombes d’inepties, d’absurdités. Tout en sachant pour beaucoup d’entre vous aller vous isoler sur la colline ou au bord d’un ruisseau pour simplement remercier, remercier par un sourire et un murmure ce mystère qu’est la Création en oubliant derrière vous le chaos. Petites gens, ne changez rien. Vous allez comprendre bientôt ce qu’est un vrai royaume. Sans carrosse doré, sans lourde couronne, sans main levée pour saluer, acclamé, flashé par les paparazzis. Le vrai royaume est une part de l’infini au sein duquel votre être ayant œuvré pour la vie va devoir accepter sans sourciller un nouvel habit, de lumière celui-là, de lumière. Oui. Vous serez en tête du cortège qui, avec des musiciens et des chansons, des danses et des rires et des bouquets de joie se dirige vers la nouvelle Aube. Celle de l’émoi.

Le papy va s’asseoir au jardin, à l’heure bleue, entre le jour et la nuit. Il sort sa pipe, son tabac et dès les premières bouffées ressent un délassement sublime l’envahir. Le chat arrive en se frottant contre sa jambe et fait le dos rond à la caresse reçue par cette main noueuse qui a tant travaillé. Pour la Terre. Pour aimer.

Michel Labeaume

4 décembre 2022

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