Viens petite

 

Viens petite

                Il sort des fourrés, silencieux, sûr de lui, comme d’habitude. Apercevant l’oiseau posé sur une branche, il l’apostrophe :

- Dis-toi bien, petit oiseau, que je suis le seigneur de la jungle, maître des lieux.

L’oiseau penche la tête, regarde d’un œil anonyme le félin puis s’envole. Il n’oublie pas cependant de lâcher une petite fiente qui vient faire ploc sur la truffe du jaguar, interloqué. L’oiseau va rejoindre son nid avec dans le bec une chenille pour ses petits qui, toujours affamés, l’attendent impatiemment.  

Le jaguar est-il plus réel que l’oiseau ? C’est ce que semblent signifier ces gugusses maîtres du Monde, riches, se vautrant dans l’opulence, méprisants envers les sans-dents. Ils sont devenus autant sourds au Silence qu’aveugles à l’horizon, enfermés, reclus dans leur égocentrisme, imposant leurs diktats à des populations soumises, des avides et des charognards de rédactions.

Petite, je vais te dire ce qui est réel. C’est ce que l’on décide, on accomplit, on impose. Aussi bien le négatif que le positif. Beaucoup, pour ne pas dire la plupart, sont devenus errants dans cette réalité déraisonnable à la limite de la rupture. Ils rient, goguenards, face aux poètes parlant d’amour et de lumière, les traitant d’utopistes. Réveillez-vous ! leur hurlent-ils, la réalité est là (ils étalent alors le journal). Mais dis-moi petite, qui est endormi ? Qui est somnambule ? Errant dans leur cauchemar tout en refusant d’en sortir car on leur a matraqué l’esprit de cette seule réalité possible.  Le poète, bien au contraire, a un jour connu l’éveil. Il s’est ainsi découvert et en pleine euphorie, a éclos comme une rose aux premières lueurs de l’aube. En pleine euphorie dis-je, car il s’est lancé dans cet inconnu (montré du doigt par les errants comme une utopie, un non-sens) comme un oiseau phénix planant, porté par le Souffle, au-dessus des immensités. En pleine euphorie car son regard tout neuf lui permet à présent de découvrir les choses ordinaires comme étant des miracles. Il n’a pas le regard du boursier sur les pages économiques du Figaro. Il n’a pas le regard concupiscent du patron des vaccins sur la manne qui lui tombe dans les mains. Il n’a dans les yeux que cet amour qui pulse la vie bien au-delà de l’apparence. Cette lumière qui sait et voudrait bien que l’humain se dépasse. De lui-même surtout et non ordonné par une entité assise sur un nuage et se jouant de la vie et de la mort de ses sujets. Petite, dis-toi bien qu’après le passage du char d’assaut, la petite fleur des prés va resurgir, pure, innocente, se laissant emporter dans une valse par une brise et s’abreuvant à l’ondée venue surprendre tout ce petit univers des prairies. Ne surtout pas comparer innocence et naïveté. Est crédule celui qui se laisse endoctriné par ces marchands du temple afin qu’il soit des leurs. Viens petite, je vais te faire découvrir toute une longueur de petits miracles. Elle sera, quand nous aurons atteint le sommet, tout le chemin que nous aurons parcouru puis, après l’avoir regardé, revenir à l’horizon prochain qui, au loin, scintille d’une Aube nouvelle. Et nous repartirons. En attendant, au fond de nos pensées, ce jour béni où les errants auront enfin osé sortir de leur apocalypse.

 

Michel Labeaume

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