Le passager clandestin

Le passager clandestin

N’est-ce pas, amis promeneurs, flâneurs des matins calmes, que si les choses lentes sont telles, c’est qu’elles mettent en avant leur sérénité. Et que la lenteur dont on les affuble, ce n’est que par rapport à toutes nos existences précipitées. Elles ne sont pas lentes, elles cisèlent leurs silhouettes avec le vent, le temps et les siècles déroulés. Elles ne sont pas lentes, elles sculptent leur beauté avec la démesure créative qui, sans jamais cesser, fait d’elles des merveilles à admirer, des œuvres à parcourir, des contrées à cheminer. Les choses lentes sont d’ores et déjà dans l’escarcelle de l’homme accompli. Un peu comme un oiseau construit son nid. Beaucoup comme un poète s’est assis devant le jour naissant et attend le chant de la muse. Viendra-t-il, ce murmure de vie ? Sinon, il s’en retourne sans déception prêt déjà à revenir le matin suivant. Et d’autres. Et beaucoup d’autres. Comme un ruban. Un ruban inaugural ouvrant la voie au sublime.

Alors, qu’en dessous, au bas de la colline, cernée de rocades remplies de travailleurs fonçant vers les labeurs élaborés par des supérieurs précipités, le fourmillement fait presque pleurer. Perdues dans les projets de grandeurs édulcorées, perdues dans des cris de traders vomissant leurs produits financiers pour des actionnaires débonnaires dirigeant les dirigeants hameçonnés, ces foules du délire sont à ce point hypnotisées qu’elles se moquent, sarcastiques, de celles et ceux ayant dans leur optique, la valeur des choses lentes offrant dans l’écrin de leur vérité cette éblouissante sérénité.

Pourtant, il y a quelque chose de nouveau, dans ces choses lentes. Comme un passager clandestin s’étant invité dans le grand vaisseau des firmaments, des Mondes, et desquels la Terre fait partie. Ce passager invisible est autant efficace qu’il est discret. Il se nourrit par ce qu’il donne aux uns et aux autres s’ouvrant à cette aube naissante qu’ils sentent germer, petitement, prenant son temps. Quel temps d’ailleurs puisqu’il vient de l’éternité, ce passager clandestin, cette chose si discrète, si magnifique, un peu comme une source naît d’un sommet, juste un petit filet d’eau. Alors qu’en bas, il sera torrent, il sera exultation, il sera joie.  Comme un cygne surgit de la brume pour annoncer un nouveau sillage. Ce passager vous pouvez l’entendre aux aurores, murmurant la vérité, le chant des possibles, l’invitation à y participer. En chœur. En silence aussi. Il faut bien le reconnaître que parler de tout cela à haute voix en pleine rue n’aura pour tout effet que d’attirer des cris, voire des pierres.

Alors, si un jour, juste pendant un moment, vous vous dites « à quoi jouons-nous avec toutes ces compétitions, courses aux armements, à la production, à la puissance, à quoi jouons-nous si ce n’est qu’avec ces courses éperdues, nous érigeons un mur contre lequel nos existences vont se précipiter », eh bien rien que d’avoir pensé cela c’est la chose lente qui vient de pénétrer par une fissure de votre esprit. Bénie soit-elle cette blessure. Elle vient de vous offrir quelques brins de murmure, cueillis dans le jardin de votre intuition. Cette chose lente vous la sentirez surgir à la moindre occasion et, en même temps avec elle, le sentiment profond d’une nouvelle sérénité. C’est avec elle aussi que vous grandirez.

Et croyez-moi, ou plutôt croyez en cette chose lente qui, je le rappelle ne paraît lente qu’en la comparant aux précipitations désespérantes des fous qui se brûlent dans la fournaise de l’insensé.

Le bouton de la fleur ne sait pas s’il va pouvoir s’ouvrir. Il fait confiance à l’abnégation des racines qui, toujours dans l’ombre, préparent pour la corolle les fleurs de lumière. Quoiqu’il arrive, le bouton de rose reste serein. C’est la qualité première de tout vivant. Cette chose lente est autant le Semeur que le Jardin. Que la Rose aussi. Et son parfum.

Michel Labeaume

28.09.2021

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