L'abîme

L’abîme

On ne peut demander à un ténor de chanter le silence comme on ne peut demander à l’incohérence de ranger les cris et les souffrances par ordre d’importance dans les ornières conduisant à la mort. Pourtant, s’il n’y a qu’une seule résistance à découvrir en soi la quintessence du Moi, c’est par l’obéissance à la méconnaissance faisant force de loi. Aussi voilà l’homme hésitant continuant son ambulation dans les ornières des déraisons sans se douter un seul instant qu’au fond de lui, la graine du oui est toujours prête à germer, attendant l’ouverture de son écrin. Ce joyau se rit de l’âge, ayant dépassé les pluies et les orages, les existences et les naufrages pour se laisser nourrir par la lumière d’une éternité. Ose ! Ose petit homme, va au bout de ce Monde en le traversant par les aurores, le silences d’or à l’éveil de la Nature, les brumes sur l’étang où le couple de cygnes semble encore plongé dans ses rêves de plénitude. Fait fi de ces habitudes de têtes baissées aux regards vides pendant que les avides se perdent dans leurs prisons dorées. Traverse cette jungle où s’accrochent aux branches calcinées des épines vicieuses prêtes à te piéger. Traverser cette jungle sans la certitude du joyau posé dans son écrin est quasi impossible alors prends le pour cible et il va éclore dans ta main. Tu entendras parfois quelques gros rires gras qui, à ton passage devant ces immobiles, ne t’atteindront que par l’affliction de les savoir enlisés dans les marais du putride. Ils y viendront. Au grand Changement. Il leur faut du temps. Personne ne sera épargné par la beauté de la joie et la joie de la beauté. Ce n’est un palindrome que par l’arome des fleurs de lumière qui sont prêtes pour la Terre à tout embaumer. Beaucoup verront que leur mépris de l’autre est une méconnaissance de soi. Beaucoup comprendront enfin que tout bouclier, s’il protège, appelle d’abord la violence et ses charrois. Traverse cette jungle, homme de l’éveil, l’immonde avec la faconde de ces harangues de puissants aux abois devient la sanie qui s’écoule du bubon de l’homme-humanitué, non blessé à mort mais seulement pour être purifié. Repose-toi parfois auprès de ces vieux qui, assis sur le seuil de leur masure, t’attendaient simplement pour t’offrir un sourire aussi pur que l’eau dans le verre qui t’est destinée. Eux aussi ont fait éclore la Certitude et ils ont pris pour habitude de cultiver le verbe aimer. Sous un parterre d’hortensias voluptueusement ouverts et provocants tu verras peut-être le temps d’un court instant des brindilles de lumière jouant avec l’éphémère pour te saluer car s’ils savent être discrets, les fées et lutins savent quand il faut, simplement remercier. Ose, homme réveillé, toutes ces années passées, elles furent ce qu’elles furent, ne pas les juger, et élance-toi alors, quand tu arriveras au bord de l’abîme, élance-toi, avec les Ailes de la Colombe et la Certitude du verbe Aimer.

Michel Labeaume

31.12.22

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